Dans ma pratique journalistique et mes échanges quotidiens avec des élu·e·s locaux, je vois combien la question de la désinformation s'invite désormais dans la vie municipale. Les maires ne sont pas seulement des gestionnaires de services publics : ils sont des interlocuteurs directs des citoyen·ne·s, et à ce titre ils peuvent jouer un rôle concret pour freiner la propagation de fausses informations au niveau local. Voici des pistes concrètes, testées ou réalistes, que je propose aux édiles et à leurs équipes pour agir efficacement.
Comprendre la spécificité de la désinformation locale
Avant toute action, il faut reconnaître que la désinformation locale ne ressemble pas toujours à la désinformation nationale ou internationale. Elle prend souvent la forme de rumeurs sur un quartier, d'infos tronquées sur un chantier, de messages alarmistes relayés dans des groupes Facebook de voisinage ou via WhatsApp. Ces contenus circulent rapidement parce qu'ils touchent un cadre de vie tangible et suscitent des émotions immédiates.
En tant que maire, votre force est la proximité : vous connaissez vos administré·e·s, les canaux de discussion locaux, les médiateurs de quartier. Il faut donc adapter les moyens de riposte à cette réalité.
Renforcer la veille et la détection
La première étape est de repérer rapidement les signaux faibles. Je recommande :
- Mettre en place une veille sur les réseaux sociaux locaux (groupes Facebook, comptes Instagram, pages municipales, Nextdoor), avec des outils gratuits comme Google Alerts, Talkwalker Alerts ou des fonctions natives de recherche.
- Former un binôme élu·e / chargé·e de communication en mairie dédié à la veille : une personne institutionnelle et une personne opérationnelle qui suit les flux en continu.
- Collaborer avec les médiateurs de quartier, les agents de police municipale et les bibliothèques : ce sont souvent eux qui entendent les rumeurs avant tout le monde.
Communiquer vite, clairement et localement
La vitesse et la clarté sont des armes essentielles contre la rumeur. Quand une information erronée circule, l'absurde se propage parce que le silence crée un vide. Voici des tactiques pratiques :
- Publier des « points rapides » sur le site municipal et sur les pages officielles : un post court, daté, signé, qui explique la situation et les actions en cours. La signature humaine (le nom du maire ou du service) augmente la crédibilité.
- Utiliser des formats accessibles : infographies, vidéos de 1 minute, stories Instagram, messages vocaux pour WhatsApp destinés aux groupes de quartier.
- Organiser des points presse locaux ou des Facebook Live pour répondre aux questions en direct quand la polémique monte.
Créer des partenariats locaux de confiance
La mairie ne doit pas agir seule. Les partenaires renforcent la portée et la crédibilité des messages :
- Journalistes locaux et médias municipaux : transmettre des communiqués, proposer des vérifications factuelles, inviter la presse à visiter un chantier ou un équipement pour « voir de ses propres yeux ».
- Associations, syndicats, conseils citoyens : co-signer des communiqués, organiser des réunions publiques ou des stands d'information dans les quartiers.
- Établissements scolaires et bibliothèques : agir sur la médiation et la littératie numérique dès le plus jeune âge.
Former et outiller les agents municipaux
Les agents de la mairie sont souvent en première ligne. Il est donc utile de :
- Organiser des formations courtes (1/2 journée) sur la détection de la désinformation, les biais cognitifs et la communication de crise. Des structures comme l'IFRA (Institut Français de Recherche en Action) ou des cabinets spécialisés peuvent intervenir.
- Rédiger des scripts et des procédures internes : que dire à un citoyen qui appelle à 20h ? Qui publie quel message et à quelle heure ?
- Disposer d'un kit de communication prêt à l'emploi (visuels, vidéos, Q&R) pour les sujets récurrents (sécurité, travaux, service public)
Investir dans l’éducation aux médias et à l’information
La prévention est la stratégie la plus durable. J'encourage les mairies à lancer des actions de médiation :
- Ateliers en collège/lycée et en centre social sur la vérification de l'information (vérifier une source, recouper, comprendre les algorithmes).
- Sessions « détective de l'info » pour les seniors, très exposés aux fake news via WhatsApp.
- Campagnes locales de sensibilisation : affiches, vidéos explicatives sur les gestes simples pour vérifier une info.
Expérimenter des outils numériques de fact-checking local
Plusieurs outils peuvent être adaptés au niveau municipal :
- Intégrer un bouton « signalez une rumeur » sur le site de la mairie, avec un formulaire simple et promettant une réponse sous X heures.
- Collaborer avec des plateformes de fact-checking nationales (Le Monde, Les Décodeurs; AFP Factuel) ou locales pour vérifier rapidement les informations.
- Utiliser des chatbots sur Messenger ou WhatsApp pour répondre automatiquement aux questions fréquentes (exemples : horaires, sécurité, rumeurs sur un site industriel).
Régler les désaccords sans alimenter la controverse
Quand une rumeur est politisée, il faut être prudent pour ne pas amplifier le signal :
- Éviter les démentis trop agressifs qui nourrissent la viralité ; préférer le factuel et la pédagogie.
- Ne pas supprimer systématiquement les commentaires contestataires sur les pages municipales : modérer en expliquant pourquoi un commentaire est retiré (harcèlement, propos diffamatoires).
- Proposer des espaces de débat encadrés (réunions publiques, forums modérés) pour traiter les sujets sensibles.
Mettre la transparence au centre
La meilleure immunité contre la désinformation, c'est la confiance. Pour la construire :
- Publier des données ouvertes (open data) sur les services municipaux, les marchés publics, les travaux : accessibilité et pédagogie renforcent la vérifiabilité.
- Documenter les décisions : comptes-rendus, vidéos des conseils municipaux, FAQ mises à jour.
- Admettre les erreurs quand elles surviennent : l'excuse claire est plus crédible que l'omerta.
Exemples concrets et reproductibles
Voici trois initiatives que j'ai observées et qui peuvent être adaptées :
- Une commune de 15 000 habitants a créé un « bulletin rumeur » hebdomadaire sur Facebook, où la mairie répond à 5 intox repérées dans la semaine. Résultat : baisse des partages de 30% sur les sujets ciblés.
- Une mairie a mis en place des visites de chantier ouvertes aux riverains et des vidéos timelapse publiées sur YouTube pour prévenir les spéculations autour des travaux.
- Un réseau de bibliothèques a lancé des ateliers « vérifier sur Internet » pour seniors, avec un petit guide imprimé distribué en pharmacie et mairie.
| Problème | Action concrète | Résultat attendu |
|---|---|---|
| Rumeur sur la sécurité d’un quartier | Point officiel du maire + présence de la police municipale en visuel | Apaisement et recadrage des faits |
| Info erronée sur un chantier | Visite ouverte + FAQ chantier sur le site | Réduction des spéculations |
| Fake news diffusée via WhatsApp | Campagne d’information ciblée par SMS et atelier seniors | Baisse des retransmissions |
La lutte contre la désinformation locale exige du temps, de l'anticipation et une dose d'humilité. Les maires ont, à mon sens, beaucoup à gagner à transformer la proximité en atout : être rapidement visibles, compréhensibles et transparents. Et surtout, faire de la prévention par l'éducation un investissement sur le long terme. Si vous êtes élu·e, responsable de communication municipale ou simple citoyen·ne engagé·e, je suis persuadée que ces pistes peuvent être adaptées à votre territoire.